15 juin, le soleil est au rendez-vous, nous quittons Paris pour rejoindre un petit coin de verdure qui nous est cher : la Normandie. C’est là qu'Émilie a grandi ; elle y a beaucoup de beaux et doux souvenirs. Si vous lui parlez de Riva Bella, vous l’avez déjà dans la poche !
Trois heures de route, des bouchons, de ciel bleu, de France Culture, de bavardages et de grignotages de BN plus tard, nous voici arrivés à la Ferme de Franck Durocher à Creully-sur-Seulles, au Nord-Ouest de Caen.
C’est là-même, que se tient la 7ème rencontre des filières textiles lin bio et chanvre, organisée par l’Association lin et chanvre bio. Plus de 250 invités réunis autour de la même passion que sont ces fibres ancestrales cultivées en France.
On y croise des agriculteurs, des teilleurs, des filateurs, des tricoteurs, des peigneurs, des teinturiers, des négociants, des marques, des porteurs de projets, des fabricants, l’IFTH (Institut Français Textile Habillement), des institutionnels et nous aussi !
La journée est structurée en 3 phases : des conférences, des visites de champs de lin et de chanvre et des rencontres.
On commence par les conférences d’accord ?
On est dans une ferme, normal donc que la conférence se tienne dans un hangar, qui au gré des saisons accueille machines, bottes de lin, et autres nécessités agricoles.
Conférence n° 1 : État des lieux : production et marché du lin bio
On le sait, et on vous le serine suffisamment : la France est le premier producteur au monde de lin (70 à 75% de la production mondiale).
Sont donc réunis ce matin les plus gros acteurs de la filière au monde. Et une filière ne tient que si tous les maillons sont forts et solidaires. Cette journée nous aura démontrés que solidarité, conviction, passion sont les maîtres-mots.
Il y a actuellement 31 500 hectares de lin en Normandie.
L’association Lin et Chanvre Bio accompagne les agriculteurs du lin conventionnel vers du lin bio. Aujourd’hui, moins de 1% du lin est bio soit 350 hectares. Il faut noter que 700 hectares sont actuellement en conversion.
Quand on passe du lin conventionnel vers du lin bio, on constate une baisse de rendement de 15 à 30% (quand c’est 50% pour les céréales par exemple). Quand on passe au bio, en effet, l’agriculteur engagé prend plus de risques.
Il faut compter 100 jours pour que le lin puisse pousser. Il est généralement semé le 1er avril pour être récolté début juillet.
Comme ça, semer, ça semble facile, mais pour le lin c’est un vrai travail de précision : à quelle profondeur mettre les graines ? Quel espacement entre chaque graine ? Comment est la terre ? En fonction du temps ces variables s’ajustent. Comme le dit Marion Lemaire de la marque Splice : « ce n’est pas nous qui déterminons les prochaines collections de vêtements que nous sortirons, c’est le temps qui le déterminera ».
En 2020, avec les très fortes chaleurs, la récolte a été pauvre en quantité et en qualité et répond malheureusement peu aux demandes du marché. Oui, le lin est comme le vin : il y a des années fastes et des années très difficiles.
Conférence n° 2 : Fibre de chanvre textile : résultats, essais et transformation de la fibre.
La France est aujourd’hui le premier producteur de chanvre d’Europe. Et on en fait quoi alors ? Parce qu’on ne le voit pas dans nos vêtements …
Il sert principalement d’isolant biosourcé pour nos bâtiments.
En effet, il manque actuellement à la France le matériel de récolte adapté à la hauteur de ce végétal qui peut aller jusqu’à plus de 2m de hauteur ! Alors la filière se gratte la tête pour adapter les machines existantes mais ce n’est pas simple, c’est long, fastidieux et compliqué. Les choses avancent et les premières solutions arrivent à petits pas pour pouvoir arracher et couper le chanvre en fibres longues de 90cm.
Pour ce qui est du rouissage et du teillage, même problématique : trop peu de machines … Alors on transpose doucement le savoir-faire du lin au chanvre.
Comme a dit un des intervenants : « Aujourd’hui on travaille le chanvre avec des machines du XIXème siècle mais avec des contraintes économiques du XXIème siècle … »
Il y eut ensuite un débat sur les labellisations. Quand on souhaite passer sa production de lin ou de chanvre en bio, il faut que toutes les récoltes et autres semis le soient. En effet, on ne peut pas planter deux années de suite du lin ou du chanvre sur une même terre. On doit donc diversifier les champs (généralement c’est par cycle de sept ans) et pour que la terre soit saine, plus aucun pesticide ne doit être utilisé.
Aujourd’hui le lin et le chanvre sont certifiés avec le label Bio, on parle aussi du label GOTS mais comme ça a été justement relevé : le lin bio récolté par les Ouïghours (centre de travail forcé des minorités musulmanes en Chine) est lui aussi certifié GOTS … On voit bien là les limites des labels …
Conférence n°3 : Relocalisation des filatures.
Si on parle de relocalisation c’est bien parce que la France a perdu toutes ses filatures de lin, plus de savoir-faire, plus de machines, que pouic (ça c’est le mot préféré de Sylviane !) …
Safilin, l’un des acteurs Français depuis 1778, a pu faire survivre le savoir-faire de la filature en France jusqu’en 2005 et ensuite, rideau. Ils n’ont pas eu d’autres choix que de s’implanter en Pologne pour faire face à la férocité des filatures asiatiques et sud-africaines (mais Safilin est parvenu à conserver le tricotage du lin en France, et ça c'est formidable !).
Quinze ans plus tard, hourra, en 2020, le groupe Velcorex, ouvre dans les environs de Mulhouse une filature de lin, un petit pas pour le lin, un grand pas pour nos savoir-faire ! Ça y est, la réindustrialisation de la France dans le secteur du lin débute dans un marché en plein essor.
Avec le support de Linportant, Safilin devrait à son tour rouvrir une filature en Normandie fin 2021- courant 2022 ; et avec le support de porteurs de projets comme Linfini dans le Finistère, la Bretagne devrait ouvrir bientôt à son tour sa propre filature.
C’est enfin la fin du sourcer le plus loin possible et le moins cher possible …
On ne vous parle pas encore de tous les beaux projets qui viendront dans les prochains mois. On en a encore les poils hérissés (teasing à mort !). Parce que oui, l’innovation se fait aussi en relocalisant !
Trois heures trente plus tard et des tas d’informations en tête, arrive l’heure du repas au milieu des champs sous un soleil de plomb. Un vrai délice, tant gustativement qu’en rencontres. Nous y avons croisé quelques marques que nous avons distribuées en boutique : Marion de la marque Splice, Marc de la marque Kiplay, Lucas de la marque Ifa Chanvre, Catherine de la marque Schop et avons fait la connaissance de certaines autres.
Nous avons fini notre journée par une visite des champs de lin bio et de chanvre. Quinze minutes de marche à l’ombre des arbres, charmant petit château, papillons et vue magnifique sur les plants de lin et de chanvre. Il était trop tard pour voir les fleurs de lin qui se ferment à midi et n’éclosent qu’à la fraîche… Mais quel bonheur et délice d’admirer ces champs nobles.
Nous espérons que vous avez pris plaisir à nous lire et remercions à nouveau l’association lin et chanvre bio, qui, depuis sept ans s’active pour faire revivre nos savoir-faire. Merci aussi à tous les acteurs du lin et du chanvre.
Nous espérons aussi que cet article vous aura permis de découvrir un peu plus la filière, avec nos mots (parfois un peu techniques …) et nos émotions. Merci aux professionnels du lin et du chanvre de nous excuser par avance si tout n’a pas été dit dans le jargon approprié ! :)
Article écrit par David
Article écrit par David.